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Nier Automata, une ost qui a su se démarquer par ses choix

La bande originale du premier Nier, sortie en 2010, avait fait forte impression dans la sphère vidéoludique. Ce travail se démarque des autres productions grâce aux choix originaux de Keiichi Okabe et son équipe le studio « Monaca ». Nous pouvons réentendre les œuvres de ces compositeurs en 2013 avec le jeu Drakengard 3 et sur Nier Automata en 2017. Nous allons tourner notre regard sur cet appel de l’empathie au travers des musiques de l’ost de Nier Automata. Les choix d’arrangements et réarrangements de certaines musiques effectués entre les deux épisodes du jeu.

Né en 1969 à Kobé, Keiichi Okabé termine ses études à l’université de sa ville natale au début des années 90. Peu de temps après, il rejoint Namco où il apprend toutes les ficelles du métier, cependant, il y est vu comme un débutant, ce qui lui laissera un goût amer[i]. Malgré tout il composa pour leur compte les musiques de Tekken[ii] 3, 5, et 6, mais au bout de 7 ans il se résigna à quitter la firme. C’est alors qu’une connaissance, Yoko Taro, le producteur de Nier, lui propose d’en composer la musique en y intégrant du chant. Au même moment Okabe fait la rencontre de Emi Evans, musicienne qui prête sa voix sur l’ost de Nier et sa suite : Nier Automata. De son vrai nom Emiko Rebecca Evans, cette chanteuse d’origine anglaise avait intégré l’école spécialisée en musique Trent. A la suite d’un échange international dans le cadre de ses études au début des années 2000, elle décide de s’installer à Tokyo. On peut retrouver sur l’ost deux autres chanteuses de talent : J’Nique Nicole Johnson et Nami Nakagawa. La première a une voix soul mais dans le cadre du projet Nier, elle l’emploie d’une manière plus « ethnique », tandis que la seconde présente une technique de voix semblable à la tradition japonaise.

Voix soul : https://www.youtube.com/watch?v=noPdG13fWGM

Voix typé ethnique : https://www.youtube.com/watch?v=aCOW9N6kCBE

Voix Traditionnel japonaise https://www.youtube.com/watch?v=9T69XiNawF0

Le cadre général, le choix de l’harmonie récurrente

            Toute musique de jeu qui se respecte se doit d’être en adéquation avec l’image et le scénario. La mélancolie nous transporte tout au long de notre périple, l’incarnation de ce sentiment nous était déjà familier dans le premier Nier. La manière de poser efficacement cette atmosphère familière passe d’abord par l’utilisation des mêmes accords. Ce procédé est beaucoup employé dans un cadre cinématographique où le passage d’une harmonie à une autre permet d’identifier la sensation voulue par le compositeur sur la scène qui se déroule. C’est pourquoi la majeure partie de l’ost est composée à partir des modes mineurs avec l’utilisation de degrés récurrents dans plusieurs tonalités. On peut le constater au travers de « City Ruins », « Song of the Ancients » et « Amusement Park ».

Point solfège – En musique, on appelle degré la place qu’occupe une note dans une échelle et qui lui donne sa fonction en tant qu’accord. Cette échelle existe, quelle que soit la tonalité. Il existe sept degrés notés de I à VII en chiffre romain. Quand le chiffre romain est marqué en minuscule, cela signifie que l’accord est mineur. Ici dans l’exemple d’ « Amusement Park », le premier degré noté « i » est un Sol mineur.

La seconde image représente les mêmes extraits musicaux, mais dans la même tonalité afin de mieux illustrer l’utilisation des mêmes degrés.

Bien entendu ce ne sont pas les seules pistes qui emploient cette récurrence harmonique du premier degré mineur au sixième, on peut aussi retrouver ceci dans « Peaceful Sleep », « Vague Hope – Cold Rain » ou « Weight of the World ». Le caractère de la dernière piste n’est pas dans le même sac que les autres, on y remarque une transformation de la mélancolie en espoir grâce aux paroles interprétées par J’Nique Nicole. Ce changement prend forme par l’alternance du couplet/refrain, ainsi la chanson « Weight of the World » est une des rares musiques qui n’est pas dans la langue formulée par Emi Evans (voir plus bas).

                       

Le choix de la voix.

Emi Evans

Il est assez rare d’incorporer du chant dans un jeu vidéo, la difficulté principale étant que les paroles ne doivent pas être confondues avec les voix des personnages. C’est ainsi que le choix de Emi Evans se présente comment une évidence : le caractère de sa voix est idéal pour contourner ce genre de contrainte, son timbre particulier laisse paraître de la quiétude et de l’émotion. Les deux autres cantatrices Naomi Nakagawa et Nicole Johnson s’en extraient aussi et peuvent exprimer de par leur timbre ces sentiments, mais d’une manière différente. Le choix de les incorporer au projet permet d’apporter une couleur différente, une richesse et d’autres traits d’ordre humain comme la colère, le mythique, etc ; c’est ce qui crée l’identité et la singularité de chaque interprète. La langue utilisée pour les paroles a été inventée pour l’occasion, lorsque l’on concentre son écoute sur la voix, on remarque une segmentation proche de la langue japonaise, mais en incorporant une phonétique similaire au français et à l’anglais. Ces deux caractéristiques du timbre et de la langue démarquent des doublages, de plus la voix employée a pour effet d’amplifier la mélancolie de la musique en nous rappelant l’humanisme de l’univers. Même s’il est plus léger que son prédécesseur, ce sentiment est toujours présent par le biais de l’utilisation de ce chant, mais aussi par l’intonation de la voix de la chanteuse. Ces deux points supplémentaires permettent d’appuyer le trait empathique et nous le faire ressentir. Cela renforce d’autant plus l’immersion des joueurs dans l’univers, le rendant presque « vivant ». Nous y incarnons les personnages de 2B et 9S, des androïdes qui ont pour mission de protéger les humains des machines.

Le choix de la langue inventée.

Outre la contrainte de la confusion du doublage, un des avantages d’utiliser une langue créée de toute pièce est d’ajouter de l’exotisme chez le joueur et cela, quelle que soit sa culture ou son origine. Il peut dans une première approche avoir sa propre interprétation de la chanson par rapport à l’endroit où il se trouve dans le jeu. Cet exotisme se traduira aussi par une sensation d’inédit dans la musique qu’entend le joueur et ne manquera pas de susciter des interrogations plus profondes telles que : « est-ce que les robots ont des sentiments étant donné qu’ils désirent imiter les humains ? » ; bien évidemment à l’heure actuelle la réponse est négative. Cependant ce sentiment de nouveauté entendu ici à travers l’emploi d’une langue inconnue peut remettre en question la réponse à cette interrogation. C’est démontré dans le jeu au moment où les robots veulent procréer de manière naturelle, ou bien dans le parc d’attractions quand l’on assiste à une scène entre un petit robot qui appelle son père. Le joueur peut constater un trou en forme de cœur dans le château de la fête foraine, le symbole d’amour a été compris par les robots et ils pensent plus à faire la fête que de se battre contre nous.  Un autre point d’imitation des machines est lorsqu’elles éprouvent un genre de fanatisme religieux. Cette religion est représentée en musique sous forme de psalmodie ou mantra avec l’assertion « Become as gods » prononcée par les robots. Le passage de l’élévation de l’esprit passe par un rite sacrificiel, ce qui veut dire que les petits bonshommes de fer savent ce que mourir signifie. Aussi, une langue représente une civilisation, une mythologie. Dans le cadre du jeu, nous avons affaire à une langue cryptique dont nous ne pouvons pas connaître le sens des paroles. Ici les personnages et nous-mêmes entendons ce mantra répété qui crée un rythme qui est superposé par une autre ligne mélodique en homorythmie chanté par un choeur d’hommes dans un ton inquisiteur.  Est-ce que nous avons affaire à l’abandon du langage des anciens ? Pourrait-on alors ressentir de l’empathie pour cette folie autodestructrice, pour un ailleurs ? On pourrait le supposer en mettant en résonance le « mal du pays » que présente la bande-son du jeu lors de notre passage dans le village humain.

Le choix de la musique adaptive et les transitions.

Les musiques sont présentées ici sur quatre déclinaisons différentes. La majorité des morceaux possède une version quiet, medium, dynamic et chiptune lorsque 9S prend possession d’un robot ennemi. Les moments de transitions de la version quiet à medium et ainsi de suite se font en fonction de la progression du joueur dans la zone. L’exemple le plus flagrant est lorsque les protagonistes se retrouvent sur terre. En effet le début de la zone est caractérisé par un piano solo qui joue un motif en ostinato. Tant que le joueur n’aura pas évolué dans le lieu, la musique stagnera. Une autre forme de transition a lieu lors du combat contre So-Shi, un goliath de forme sphérique. Au début de l’affrontement, le boss est invulnérable, le combat ne commence vraiment que lorsque 9S désactive le système électrique de l’usine abandonné. Ces différentes phases entre le précombat et le combat sont notifiées de deux manières : L’apparition du nom du boss et la musique qui passe de la version quiet à dynamic. Ce choix de la musique adaptive permet à l’objet d’être en corrélation avec les actions du joueur ou de l’environnement sans casser le rythme du jeu. L’Ost est assez généreuse pour proposer des morceaux pour tous les goûts ; des adeptes de calme et de volupté aux joueurs en quête d’épique, en passant par ceux qui ont la nostalgie des sons typés 16bit.

Le choix de repenser les musiques.

Nier automata est le descendant direct de Nier, il est donc logique de retrouver des thèmes de la version de 2010 dans le panel musical. Peut-on parler de coup de rouleau sur un mur dont on souhaite refaire la même couleur, car celle-ci est devenue matte ? Pas réellement, ici il est question de réarrangement. Ce principe a pour but de reprendre un thème musical préexistant et de le révéler sous un nouveau jour. L’équipe de compositeurs a choisi de repenser plusieurs pistes sur différents points, cette métamorphose est remarquable tant du point de vue de l’instrumentation que du caractère souhaité. Un des exemples des plus frappants est celui du morceau « Grandma » où l’effectif piano et voix est remplacé par un orchestre complet. La mélodie et l’harmonie restent inchangées, mais le sentiment dégagé entre les deux versions bascule du tout au tout. La tristesse affirmée dans la première version suivant un tempo modéré et se réduisant à un simple duo est transformée en un effectif orchestral avec chœur au tempo plus allant, ce qui a pour effet de passer du sentiment mélancolique à celui d’épique. D’autres pièces ont reçu ce nouveau coup de crayon comme « Song of the Ancient » qui, dans les deux Nier, représente les deux jumelles aux cheveux de feu : Popola et Devola. On peut également remarquer qu’il y a eu le même type de changement : nous passons d’un duet guitare et voix à un effectif orchestral. Le sentiment voulu est similaire à celui du premier exemple.

Popola et Devola

La musique « Emil », quant à elle, a eu droit à deux adaptations. La première se fait entendre lorsque nous le recroisons en tant que vendeur d’arme et d’objet. Une fanfare se fait de plus en plus fort pour l’héroïne en fonction de la distance avec le personnage, c’est ce qu’on appelle la musique diégétique. On peut noter que la langue employée est celle qui a été créée. L’héroïne a conscience qu’il y a eu une langue ancienne et dès lors le reflet d’une ancienne civilisation éclot. De plus, Emil chante sa chanson ce qui signifie qu’il a été en contact, de près ou de loin, avec ce langage. Cette esthétique de fanfare enfantine n’a rien à voir avec la musique du premier Nier que l’on retrouve également dans la cachette d’Emil lors qu’une quête secrète. On retrouve la seconde déclinaison quand nous affrontons le boss secret du jeu, cet arrangement suit les mêmes codes que les deux exemples mentionnés précédemment.

A la convergence des choix.

Que ce soit l’utilisation de l’harmonie récurrente, le timbre et l’intonation de la voix, ou encore le jeu sur la nostalgie par la réutilisation de la matière sonore du premier, Nier Automata nous fait ressentir une empathie sans pareil tout au long de notre périple. On pourrait dire que cette manière de mettre en scène ce sentiment est devenue le style de Keiichi Okabe. Son ingéniosité et celui de son équipe ont forgé l’œuvre musicale majeure qu’est Nier Automata. Je pense ne pas être pas le seul à penser que cette bande-son est particulière avec sa personnalité propre. La qualité de la musique est remarquable et n’a pas changé entre 2010 et 2017. Par contre nous pouvons constater une évolution sur la manière d’incorporer les percussions entre les deux Ost. C’est dire que nous ne sommes pas bout de nos surprises pour ce qui est d’un nouvel opus de Nier. Pour notre part on sera au rendez-vous pour apprécier de nouveau le travail des compositeurs et constater s’il y a eu de l’évolution ou de nouveaux éléments pour cette hypothétique ost.

Airu.

Ost : Original Sound Track – Musique originale.

Opus : Indication désignant un morceau de musique dans une œuvre et non un épisode de jeu comme il est admis dans le milieu vidéo ludique.

Harmonie : Simultanéité sonore et construction des accords.


[i]Toto – https://www.youtube.com/watch?v=MhTSy9OTWv0

[ii] https://vgmdb.net/artist/803

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4 commentaires

  1. Ok alors en essayant d’être constructif par rapport à la partie solfège : je trouve que c pas assez vulgarisé pour un profane (rien que les définitions : tonalité/ostinato/timbre/ implications des degrés/ mineur/majeur/diégétique/homorythmie) et assez trivial (puisque tu décris juste) pour quelqu’un qui a des notions ( c quoi les implications de l’alternance i VI plutôt que i V par exemple ?). Potentiellement y aurai des choses à dire sur cet OST hein, même si je suis pas sur qu’on puisse parler « d’oeuvre musicale majeure ». Je salue l’effort qd même même si je préferai qd yavait des articles drôles et du rose et vert sur gwak.fr. Bises Porkogougoul

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