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Twin Mirror : le chef d’œuvre caché de Dontnod

Twin Mirror est un jeu d’aventure narratif (ou “interactive drama”) à choix multiples, développés par Dontnod Entertainment, qui est sorti à pas feutrés sur PS4, Xbox One et PC le 1er décembre 2020. Notez qu’il est désormais compatible pour PS5 et Xbox Series X|S.

À peine 4 mois après “Tell Me Why” qui, supervisé et édité par Xbox Games Studios, est sorti en grande pompe, Twin Mirror a vu le jour dans la plus grande discrétion, malgré un trailer pour le moins intriguant. Ainsi, tandis que tous les adeptes du genre se sont tournés vers son prédécesseur, Twin Mirror est malheureusement resté dans l’ombre ; et c’est bien dommage ! C’est d’ailleurs dans le but de faire découvrir ce titre, mais aussi de redorer son blason, que nous nous sommes décidés à réaliser ce Test ; car ce jeu aurait mérité plus d’attention qu’il n’en a reçu à ce jour.

Alors qu’il avait quitté Basswood sans un regard en arrière, il y a deux ans de cela, l’ancien journaliste d’investigation Samuel Higgs n’avait jamais soupçonné qu’il remettrait un jour les pieds dans sa ville natale. Pourtant, la mort tragique de son meilleur ami Nick le force à retourner dans la petite ville minière de Virginie-Occidentale, afin de lui rendre un dernier hommage. Là-bas, il devra faire face à son passé, aux proches qu’il a abandonnés sans dire un mot, mais aussi aux gens désormais sans emploi qui le détestent pour avoir rédigé l’article ayant causé la fermeture de la mine.

Toujours en dépression depuis sa rupture avec Anna, son ancienne petite amie qu’il avait demandée en mariage, c’est une épreuve que de la revoir à la veillée. D’autant plus lorsqu’il apprend qu’elle s’était installée avec Nick et qu’ils filaient le parfait amour depuis plusieurs mois.

Dans ce climat pour le moins tendu, Sam se questionnera sur l’origine de l’accident de voiture de Nick. Lui qui, du plus loin qu’il s’en souvienne, était si précautionneux… Il y a comme quelque chose qui cloche. Ce n’est pas sa filleule Joan qui le contredira, persuadée que la mort de son père n’était pas accidentelle. Mais comment en avoir le cœur net ?

Visiblement pas en posant des questions directes à la population locale, durant la veillée en l’honneur de Nick. Sombrant dans l’alcool pour ne plus ni réfléchir ni ressasser le passé, notre protagoniste enchaîne les bières jusqu’à faire un “blackout”. Il se réveille dans sa chambre d’hôtel avec une puissante gueule de bois. Allant se rafraîchir le visage à la salle de bain, il fait l’effarante découverte de sa chemise de la veille, recouverte de sang. Or, n’ayant ni plaie ni blessure sur le corps, il ne s’agit indéniablement pas du sien. Mais que diable a-t-il fait durant cette nuit d’ivresse ?!

Avec le succès de la série de jeux épisodiques Life is Strange, Dontnod Entertainment nous a déjà prouvé qu’il maîtrisait l’écriture et la réalisation de ses aventures narratives axées sur les dialogues, sur l’investigation, mais aussi sur l’impact des choix du joueur. Il serait donc malencontreux de changer la recette, non ? Toutefois, nous avons cette fois-ci droit à un ‘interactive drama’ en un seul morceau, qui prend une tournure de thriller psychologique plus sombre et plus dépressif encore. Sans doute plus mature qu’un Life is Strange, Twin Mirror a su se démarquer des autres productions du studio, sans pour autant trop s’éloigner de la formule à laquelle nous nous sommes accoutumés. Pourtant, à cause de sa sortie passée trop inaperçue, le jeu n’a pas connu un franc succès. Pour autant, son absence de notoriété fait-elle de lui un mauvais jeu ?

Quitte à broyer du noir, resserre-moi à boire !

Si Twin Mirror est sculpté dans le même marbre que les autres productions du studio, on peut toutefois relever que cette fois-ci, notre protagoniste a quelque chose de très différent. Tout d’abord, il s’agit d’un homme, ce qui est plutôt rare dans un jeu de Dontnod. En effet, excepté dans Vampyr et Life is Strange 2, nous étions plutôt accoutumés à nous retrouver dans la peau d’une héroïne, tel que dans Remember Me, Life is Strange, ou encore son prequel : Before the Storm. De plus, Samuel Higgs est un homme adulte, ce qui change un peu de l’ambiance très “teenager” à laquelle le studio nous a habitués. Mais surtout, Sam est du genre blasé, un tantinet défaitiste et un peu à l’ouest depuis qu’il prend ses antidépresseurs. De ce fait, nous nous retrouvons cette fois dans le corps mollasson d’un héros quelque peu froid, impassible, pas très bavard ; voire même légèrement fade. Bien que nous découvrons au fur et à mesure de l’aventure ce que ce protagoniste désabusé a traversé, force est de constater qu’il manque sans doute de charisme.

De même, l’ambiance de ce titre est davantage dépressive que celle d’un Life is Strange qui, malgré sa noirceur, demeure toujours optimiste et bienveillant. Ajoutez à cela la lenteur générale du jeu, qui pourrait éventuellement déplaire à certains joueurs qui lâcheront Twin Mirror dès les premières heures.

Mais, même si les goûts ne se discutent pas, il faut bien dire qu’abandonner ce titre sans le terminer serait un véritable gâchis !

Ben mon vieux, si je m’attendais à ça !

Si l’histoire de Twin Mirror démarre de façon assez sommaire, avec un proche décédé et un héros qui tente de trouver un coupable à la mort subite de cet être cher, il faut tout de même souligner que l’intrigue du jeu est véritablement prenante et captivante tout du long. D’autant plus qu’au départ, tout porterait à croire que notre personnage est loin d’être net et serait peut-être capable d’ôter la vie sans même en avoir conscience. En effet, Samuel Higgs est mentalement perturbé, parasité par la présence d’un homme à lunettes qu’il est le seul à voir comme à entendre. Grâce à cet élément, la curiosité du joueur est piquée et nous pouvons aisément dire que cela ajoute du piment au récit. Et comme dit plus haut, l’ambiance moins adolescente du jeu n’est pas pour nous déplaire.

D’ailleurs, cet homme avec qui Sam interagit, parlons-en un peu, si vous le voulez bien. Sans trop vous en dévoiler, pour ne pas vous ôter le plaisir de découvrir le jeu par vous-même, sachez qu’il se comporte comme un moralisateur, à la manière de Jiminy Cricket, la voix de la conscience de Pinocchio. Il intervient donc régulièrement au cours de l’aventure pour s’entretenir avec nous, nous donner son avis et nous soumettre ses conseils, que nous sommes en droit de suivre ou d’ignorer à notre guise. Ce personnage, vous le verrez, occupe une place très importante dans la vie de notre héros, mais également dans notre périple. Si son origine et sa nature sont assez libres d’interprétations, nous vous laissons le soin de le découvrir dans la dernière partie du jeu. En tout cas, il nous était impossible de ne pas en parler, puisque son importance est cruciale dans le récit, mais aussi parce que cette idée de “double” à mi-chemin entre l’entité surnaturelle, totalement fantaisiste, et le trouble de dissociation de la personnalité, bien plus terre-à-terre, sont très pertinents et intéressants. C’est clairement l’un des points forts de Twin Mirror que d’avoir joué cette carte-là !

Puisque nous nous attardons sur la psychologie de Samuel Higgs, notez aussi que le jeu nous propose quelque chose de rarement vu : le concept du “Palais Mental”. Il s’agit, en fait, du lieu intérieur dans lequel se plonge souvent notre personnage, pour se remémorer des souvenirs, mais pas uniquement. En effet, c’est dans ce Palais Mental que nous sommes parfois envoyés de force. Pris de crises d’angoisse ou submergé par le stress, Sam a du mal à canaliser ses émotions, alors c’est à nous de le calmer en effectuant une sorte de “puzzle” ou “course” dans un milieu psychédélique et peut-être quelque peu inquiétant. L’issue de la crise de panique de Sam dépendra donc de notre succès dans le Palais Mental. C’est à nous que reviendra la décision du raisonnement à adopter et de la marche à suivre. La suite de notre investigation, mais surtout l’approche que nous emprunterons, correspondra donc à l’attitude que nous aurons choisi de prendre et à l’objectif que nous nous serons fixé.

Outre ces phases de gestion du stress, le Palais Mental nous sert aussi, en quelque sorte, de bureau d’investigation. Au cours de votre enquête, vous serez amenés à observer et à analyser de petites zones, tel que le bar où une violente bagarre a fait rage, une scène de crime, une maison ayant été cambriolée, ou encore le lieu du tragique accident de Nick. C’est dans ces moments-là que vous ferez volontairement appel au Palais Mental pour y établir vos déductions. En suivant les éléments et preuves que vous récolterez, vous userez de votre sens de l’observation et de votre logique afin de reconstituer les événements dans l’ordre chronologique des faits. C’est ensuite à vous de tirer vos conclusions, qu’elles soient justes ou fausses, et de les valider mentalement pour poursuivre l’investigation.

Vous en conviendrez, ce Palais Mental s’avère bien utile. C’est un concept assez original, qui fonctionne et qui est bien exploité dans le jeu, sans nous sortir de l’intrigue, car il reste cohérent avec l’univers et la psychologie du personnage.

Jusqu’à présent, nous avons mentionné le fait que Twin Mirror est un jeu narratif à choix. S’il y a bien quelque chose que les adeptes de ce genre attendent, c’est que cette notion de choix soit travaillée et que la volonté du joueur soit respectée. Les faux choix qui nous donnent l’illusion d’avoir notre mot à dire, alors qu’en réalité, le jeu est scripté pour s’enchaîner de telle manière, quoi qu’on fasse… C’est un petit peu frustrant. Ici, notre bilan est en demi-teinte, mais plus positif que négatif, rassurez-vous. Comme toujours dans ces jeux à choix, l’éventail des possibilités, que ce soit lors des dialogues comme dans l’action, est plutôt restreint, n’offrant que quelques options et marges de manœuvre. Twin Mirror ne déroge pas à la règle, j’en ai bien peur. Cependant, sachez que le jeu laisse un peu de mou au joueur, lui permettant de faire son enquête et d’arriver à ses conclusions sans être trop incité dans ses choix ni pris par la main. Aussi, le joueur est libre d’écouter ou non les conseils de l’homme aux lunettes, de les appliquer ou non ; ce qui aura forcément des conséquences sur le déroulement du jeu. De même que le joueur peut aussi bien entretenir de bons rapports avec les autres personnages, leur accorder sa confiance, se confier à eux, etc, comme tout le contraire, à sa guise. Pour avoir fait deux fois Twin Mirror et tenté différentes choses, dont des choix et réactions opposés au cours de l’aventure, il est indéniable que cela change quelque peu le cours des choses. Par ailleurs, vers la fin du jeu, un gros choix entre deux voies s’offre à nous, un peu comme à la fin de chaque Life is Strange. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci peut changer considérablement l’issue de l’intrigue. A notre connaissance, il y a deux fins à ce récit. Mais peut-être y en a-t-il d’autres que nous ignorons, pour faute de ne pas avoir refait le jeu une troisième voire quatrième fois.

En tout cas, nous pouvons dire que nos paroles, décisions et actes ont un impact sur notre relation avec les personnages et sur le dénouement de l’histoire. Ça, c’est ce que nous voulions !

D’ailleurs, en parlant du dénouement du jeu, sachez que ce fut une grande surprise, car le final de Twin Mirror est aussi inattendu qu’imprévisible. Il faut bien dire que cela fait plaisir d’être ainsi pris au dépourvu, sans l’avoir vu venir !

Enfin, terminons sur une note plus légère que nous n’avions pas encore abordée : la direction artistique. En réalité, il n’y a pas grand-chose à dire, si ce n’est que le jeu est très agréable à regarder, au même titre que les précédentes productions du studio. Quant à la musique, elle est toute de justesse, suivant et appuyant le récit et l’ambiance de chaque passage, sans en faire trop. Sans pour autant être inoubliable, visuellement comme musicalement, Twin Mirror possède un petit charme bien à lui. Mais c’est surtout pour son histoire que l’on se souviendra de lui.

Chapeau bas !

Le jeu n’a pas marché et c’est bien dommage, car Twin Mirror a plus d’un atout dans sa manche. Avec une ambiance plus mature que d’habitude et un protagoniste tourmenté tant par ses échecs que par un alter ego un tout petit peu trop envahissant, nous avons cette fois-ci affaire à un thriller d’investigation trépidant et profond, qui peut nous amener à revoir notre propre façon d’aborder les autres et le monde qui nous entoure, ainsi que notre manière de prendre des décisions. Les idées du Palais Mental ainsi que du double sont plus qu’intéressantes et l’histoire est finement tissée. Sans compter que sa conclusion est totalement imprévue. Doublement imprévu, même, pour être tout à fait honnête !

En tout cas, Twin Mirror n’est peut-être pas un chef-d’œuvre du genre, mais c’est un excellent jeu narratif qui ne laisse pas indifférent. Ce fut un régal que de le boucler en un week-end, avide de curiosité. Ce fut un plaisir presque égal que de le faire une seconde fois pour rédiger ce test. Il n’est pas parfait, certes, avec son rythme plutôt lent, mais c’est un jeu qui ne s’oublie pas.

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Trish

Je suis Trish, L'impératrice des Rêveurs. J'aime manier les mots, l'arc et le fusil à pompe. Je taille mes critiques d'un revers de plume affûtée. D'un tempérament brut, je tire à balles réelles.

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