Général

Qui mème me suive !

Note de Gwak.Fr

Voici le premier article écrit par un contributeur et nous espérons qu’il ne soit pas le dernier ! Comme vous pouvez le constater, nous acceptons toutes vos contributions, que ce soit pour un article de fond, un édito ou une critique. Pour ce faire, il faut que le sujet corresponde à la ligne éditoriale de notre site et nous puissions l’adapter pour qu’il corresponde à nos exigences rédactionnelles. Si vous décidez de collaborer, n’hésitez pas à nous contacter via les réseaux sociaux ou par mail.

La rédaction.

Cet article a été rédigé par : Etheratum

Libérée, délivrée…

Pourquoi on ne peut pas faire taire cette mélodie qui tourne en boucle dans la tête, et qu’on déteste en plus ? Pourquoi on ne peut pas s’arrêter de penser ? pourquoi parlons-nous tant pour dire souvent si peu ? Il se pourrait que ce soit là l’œuvre des mèmes*.

Les mèmes sont connus pour être des petites images déclinées à l’infini qui expriment des réactions, des émotions, des blagues qui parlent à tout le monde.

Vous allez voir qu’ils sont bien plus que des petites blagues anodines. Si vous voulez en savoir plus sur l’origine de ce phénomène, et comprendre un peu mieux la nature humaine, ce billet pourrait vous intéresser.

Avec des implications dans plein de domaines, ce phénomène intéresse beaucoup de chercheurs en sciences sociales. Si vous aimez les mindfuck, ça devrait vous plaire, en tout cas moi ça me fait cet effet, et j’espère pouvoir vous transmettre ma fascination.

La théorie de l’évolution suggère que nous, les individus, sommes des véhicules conçus par et pour les gènes. On a du mal a croire que ce simple réplicateur** soit capable d’autant d’ingénierie, d’où cette impression très rependue d’intelligent design. On a l’impression qu’il y a un architecte derrière le vivant, c’est trop parfait ! Et pourtant, nous sommes bien, avec le reste de la biodiversité, le résultat d’une compétition entre gènes. Par exemple la course à l’armement entre la souris et le chat, les gènes de la souris évoluent conjointement avec ceux du chat : ceux de la souris tendent à lui faire courir plus vite, pour échapper au chat ; tandis que ceux du chat tendent à lui faire développer la furtivité, pour attraper la souris. C’est la contrainte et la complétion qui conduit l’évolution, seuls les mieux adaptés ont survécu. On a l’impression que c’est du génie parce qu’on ne voit pas tous les ratés de l’évolution et on ne se rend pas compte du temps que ça a pris, on voit juste la crème de la crème.

Tout ce processus se fait sans intentionnalité, il n’y a pas d’architecte aux commandes. Les gènes sont seulement capables de se répliquer aveuglément, ils ne planifient rien. Il se trouve que c’est ceux qui s’adaptent le mieux à l’environnement qui se répliquent le plus. Nous sommes le moyen de leur fin ; la réplication bête et méchante : je me copie tant que je le peux.

Le récit darwinien du vivant surpasse de loin les plus fous scénarios de sciences-fictions, c’est à la fois effrayant et jubilatoire. Si vous aimez la science-fiction, foncez lire « Le gène égoïste », le plus réel des récits surréalistes.

On est plus des sauvages.

Mais vous pourriez me dire que nous, les hommes, avons dépassé ce déterminisme génétique, notre intelligence nous permet de choisir notre destin, on n’est pas des animaux bordel ! Nous utilisons la contraception, nous adoptons des enfants, qui sont de grossières erreurs du point de vue du gène (magnifiques erreurs du nôtre). Et vous auriez raison.

Mais là deuxième coup de massue, il se trouve que nos comportements complexes s’expliquent aussi avec des mécanismes darwiniens, mais cette fois-ci avec d’autres réplicateurs aveugles : les mèmes. Nous serions dressés par les mèmes pour les propager. L’architecture de notre esprit serait aussi la résultante d’une guerre de territoires entre réplicateurs…

Pourquoi croire à une conclusion si déprimante, qui nous prive du mérite de nos meilleures inventions ? D’une part parce que les théories en science ne sont pas faites pour plaire, elles sont faites pour expliquer au mieux les phénomènes. Au cours de l’histoire, la science a toujours fait reculer l’ego démesuré des hommes, qui se croyait au centre du monde, au centre de l’univers avant que la science ne leur donne une leçon d’humilité. Et d’autre part parce qu’on n’est pas obligé de trouver ça déprimant, on peut trouver ça génial. C’est tout de même grâce aux gènes que nous avons notre corps, que nous voyons, que nous sentons, que nous avons le privilège extraordinaire de faire l’expérience subjective. Et c’est grâce aux mèmes que nous avons accès à une pensée si riche, nous pouvons naviguer dans des idées passionnantes. Nous sommes des observateurs privilégiés de l’univers, et je pense que nous serions ingrats si nous nous plaignions d’en être les produits.

Dawking le thug.

Quoi de mieux pour introduire la théorie du mème que de vous présenter le grand-père de ce concept : le grand maître gwakeur Richard Dawkins. Ce biologiste mondialement connu, et respecté par l’ensemble de la communauté scientifique, n’a pourtant pas que des admirateurs. Et pour cause, il n’hésite pas à s’attaquer à des sujets sensibles comme celui de la religion par exemple qui, selon lui, jouit d’une immunité à la critique injustifiée. Pour lui rien ne doit être sacralisé, rien ne doit être tabou, il faut bousculer vigoureusement les idées – dans l’amour et le respect de ceux qui les portent, bien entendu. Vous le savez mieux que tout le monde, cette philosophie peut provoquer des réactions épidermiques, on a du mal dissocier notre identité et nos croyances, à ne pas prendre personnellement l’attaque d’une idée qui nous tient à cœur. Cette tendance est exacerbée chez les conservateurs et les fondamentalistes, qui se privent de la liberté de changer d’avis, de leur plein gré ! Par conviction idéologique… Ils se fondent un paradigme immuable sur un socle préétabli : «  le livre dit la vérité, tout ce qui contredit le livre est faux » ; ou encore : « On a toujours fait comme ça, donc c’est comme ça qu’il faut continuer de faire » des façons de penser sclérosantes dont la science est l’antithèse.

Dans une conférence sérieuse, il brise la glace en répondant à un chrétien qui se questionne sur le bien-fondé de la science. «  Comment justifiez-vous la foi que vous avez en la méthode scientifique ? » « La médecine soigne grâce à la science, les avions volent grâce à la science […] Its work, bitches ! 
» comprenez « mais parce que ça marche, nom d’une pipe ! » Il sème le Gwak et se délecte du fruit de sa récolte, le voici en train de lire le courrier des lecteurs, les amabilités rivalisent d’originalité, un spectacle délicieux offert par des gens qui ont reçu un peu trop d’amour divin, ou pas assez, dur à dire : «  J’espère que tu te feras enculé par des singes sataniques en enfer. » 

Maintenant que vous connaissez un peu mieux le papa, il est temps de parler du bébé : le mème.

Du pareil au mème

« Mème » est la contraction de « mimène » (mimétisme en grec).

Dawkins propose ce néologisme dans son premier livre « Le gène égoïste » en 1976. Cet ouvrage est une référence, il y actualise l’explication darwinienne du vivant en expliquant les mécanismes de l’évolution à partir de la plus petite unité du vivant : le gène. Mais il se rend compte que les pressions de sélection naturelle n’expliquent pas tous les comportements humains, qui développent des capacités cognitives et sociales hors-norme. Leurs comportements complexes s’expliquent à d’autres échelles qu’à celle du gène. C’est pour éviter les extrapolations qu’il va, à la fin du livre, introduire une notion qui ne va pas passer inaperçue. Dans ce chapitre, il va étendre les mécanismes de sélection naturelle au monde des idées, à la culture, à tout ce qui se réplique en fait !

«  En tant que darwinien enthousiaste, je n’ai pas été satisfait des explications que mes collègues ont données au sujet du comportement humain. Ils ont essayé de chercher des avantages biologiques dans les différents attributs de la civilisation humaine. » Dawkins. 

Le Darwinisme universel prend forme. La recette est simple il vous faut comme ingrédients un truc qui puisse se copier (un réplicateur), des ressources limitées, et du temps, beaucoup de temps. En gros ça donne ça :

  1. Des réplicateurs : ils ont la capacité de se dupliquer,
  2. Qui peut faire de petites erreurs de copie aléatoirement.
  3. Dans un environnement limité en ressources qui sélectionne les meilleures erreurs de copie, élimine les moins bonnes. Ainsi le facteur aléatoire est éliminé, il y a un sens, une évolution.

La sélection naturelle est un filtre qui élimine, à l’usure, les réplicateurs qui se répliquent moins bien que les autres.La sélection se fait naturellement, les traits qui permettent une meilleure réplication sont sélectionnés**, tout ce qui gaspille de l’énergie et des ressources est éliminé. La nature a horreur du gaspillage, préserver son énergie permet de survivre pendant les périodes difficiles qui déciment les moins rigoureux. C’est pour cela que les peuples qui vivent dans des environnements arides ont tendance à être très stricts et rigoureux.Seuls les réplicateurs les plus rusés, les plus adaptés à leur environnement peuvent prétendre à la survie, qui est la condition sine qua non de leur but ultime : la reproduction.

Vous faites tourner cet algorithme pendant des milliards d’années, et vous obtenez toute la diversité et la complexité de la vie. Vous obtenez aussi la première merveille de l’univers : l’humble cerveau humain.

Le propre de l’homme.

On sait qu’on est spécial, mais quel est le propre de l’homme finalement ? Grande question ! Des générations de penseurs ont tenté d’y répondre. C’est l’humour par ci, l’intelligence par-là, l’art peut-être ? Pas sûr …

Il semble bien que ce qui nous différencie des autres animaux, ce soit notre pouvoir mimétique. Nous sommes très fort pour nous copier, nous sommes si fort que nous ne nous rendons pas compte à quel point c’est une tâche difficile et complexe. Il faut comprendre l’essence de ce qu’il faut copier, opérer un changement de référentiel, et être capable de reproduire le mouvement. Et pourtant les bébés le font très bien spontanément.

« À la différence de tout autre animal, nous imitons spontanément tout et n’importe quoi, en ayant l’air d’y prendre plaisir.» Susan Blackmore.

C’est une capacité très peu développée chez les autres animaux***. Le mimétisme est un apprentissage social polyvalent, si vous êtes un bon imitateur, vous pouvez apprendre à copier plein de comportements différents, et dépasser la barrière de l’innée, de la mémoire génétique. C’est cette capacité qui nous permet de construire des choses sur plusieurs générations ; la culture, la science, les techniques agricoles sont enseignées et améliorées de génération en génération. Après la barrière de la mémoire génétique, nous dépassons maintenant la barrière de la mémoire biologique, la mémoire devient collective. Nous n’avons pas besoin de réinventer la roue à chaque génération, une fois l’effort de création fait, la génération suivante peut utiliser le temps économisé pour faire de nouvelles découvertes. Nous sommes des rentiers, nous vivons sur un immense héritage.

Grâce à cette capacité singulière, le cerveau devient le berceau d’une évolution nouvelle : celle des mèmes, des nouveaux réplicateurs. Nous ne sommes plus uniquement conduits par l’intérêt égoïste des gènes, nous sommes aussi manipulés par les mèmes, qui se disputent notre cerveau. Leurs intérêts peuvent diverger. De cette nouvelle évolution va émerger la culture. Les tendances évolutives des hommes peuvent maintenant se faire contre le principe élémentaire de la sélection du vivant : tu gaspilles de l’énergie, tu dégages ! Voilà pourquoi une pratique comme l’agriculture, qui n’était pas du tout rentable à ses débuts, a pu traverser les âges. Nous avions aussi du mal à expliquer la taille énorme de notre cerveau, qui est très énergivore (20% de notre consommation). Le langage complexe semble aussi difficilement explicable par la seule théorie de l’évolution classique. Il semble que la théorie du mème explique bien toute ces émergences singulières. Je ne vais pas les développer ici pour des raisons de concisions.

Toutes les conditions étant réunies, les mèmes sont donc soumis au Darwinisme universel :

  1. Les mèmes se répliquent, ils passent de cerveau en cerveau. Quand vous avez une chanson dans la tête, vous avez été infecté par le même, si vous la chantez a voix haute, vous allez continuer de transmettre ce mème.
  2. Il peut subir des petites modifications, se transformer graduellement. Pensez aux langues, aux accents, un mec du sud ne va pas tout à fait utiliser les mêmes expressions qu’un Parisien, pourtant ils n’auront aucun de mal a se comprendre. Par contre vous allez avoir un peu plus de mal à comprendre un québécois ou un Rabelais.
  3. Un environnement sélectif, en effet le cerveau est paresseux, il a aussi une mémoire limitée. Le mème du climax de la Reine des neiges va beaucoup plus facilement harceler votre cerveau que la notice en allemand votre brosse à dents électrique.

Il est très important de comprendre que tout ceci se fait sans volonté, sans force vitale mystique, c’est un algorithme très simple : je me copie si je peux me copier. Plus j’engendre de copie, plus ces copies engendreront des copies à leur tour, c’est une guerre de nombre. Les réplicateurs les plus efficaces écraseront en nombre les autres réplicateurs. Les trois caractéristiques d’un bon réplicateur sont : la fidélité (la copie ressemble à l’originale), la longévité, et la fécondité. Plus il respecte ces règles plus il régnera. La révolution des mèmes c’est qu’elle rajoute une couche d’évolution, beaucoup plus rapide que l’évolution par les gènes.

Des mèmes séduisants.

Ces nouveaux réplicateurs passent de cerveau en cerveau, ils sont en concurrences pour occuper du temps de cerveau disponible. Il est donc important pour un mème d’être un produit cognitif séduisant, facilement mémorisable, facilement reproductible. En comprenant le cerveau, ses biais, ses tendances, ses heuristiques, on comprend l’appareil reproducteur des mèmes.

Gérald Bronner, sociologue français, fait l’analogie avec l’économie de marché. Les produits cognitifs sont en concurrences au sein du marché de l’information, internet étant un catalyseur qui débride le marché. La théorie de la terre plate peut ainsi facilement trouver un public, qui tombe dans une spirale infernale. Il y a tellement de sites qui présentent la théorie que le pauvre infecté a très peu de chance de se sortir de son biais de confirmation.

On comprend assez bien la personnalité du cerveau humain, on sait qu’il est paresseux, et qu’il se fie beaucoup à son intuition pour éviter de faire trop d’effort. Le simple effet d’exposition entraîne une familiarité, on garde inconsciemment en mémoire les messages affichés dans notre environnement, et lorsque nous devons faire un choix (pepsi ou coca) notre cerveau paresseux nous oriente insidieusement vers celui qu’on connaît le mieux. Les publicitaires ne dépensent pas des millions en affichage pour rien, qu’on trouve ça idiot ou pas, ces techniques ne marchent.

Les rimes et la police de caractère facilitent aussi la mémorisation, une affirmation écrite en gras vous paraîtra plus vraie qu’une phrase écrite en minuscule gris clair. Les proverbes qui riment sont ceux qui semble les plus pertinents : On retient « petit à petit, l’oiseau fait nid », le proverbe  « Peu à peu, l’oiseau fait son nid » semble beaucoup moins signifiant.

Dans  « Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée », le psychologue Daniel Kahneman explique : « L’aisance cognitive est associer à des sensations plaisantes […] la répétition provoque l’aisance cognitive et une sensation réconfortante de familiarité. »

Les publicitaires font donc en sorte que leurs marques, qui sont des mèmes, incrustent nos cerveaux. Slogans publicitaires qui riment, effet d’exposition, séduisent nos cerveaux paresseux, un publicitaire est un architecte du mème.

Les émotions : l’autoroute des mèmes.

Un bon réplicateur est un réplicateur qui reste longtemps en mémoire (longévité), il a plus de temps pour émerger. Un mème stocké en mémoire dans un ordinateur, du papier, ou un cerveau, c’est un mème en dormance, comme une graine. Il attend d’être transmis par son hôte.

Nous nous souvenons facilement des événements avec un fort impact émotionnel. L’indignation et la haine se propagent 1000x mieux qu’un discourt tempéré. Il suffit de traîner un peu sur Twitter pour s’en convaincre.

 « Gwak » est un joli mème, facilement mémorisable, facilement dit. Son modeste, mais notable, succès n’est sans doute pas étranger à sa morphologie élégante. Il exprime une émotion, un sentiment que tout le monde connaît (et peut-être plus, qui sait…). Sans oublier son ambassadeur charismatique, qui porte loin dans les contrées et haut dans nos cœurs, ses couleurs ridiculement flamboyantes.

*Mème :Un élément de culture dont on peut considérer qu’il se transmet par des moyennes non génétiques, en particulier par l’imitation.

**Les trois caractéristiques d’un bon réplicateur sont : la fidélité (la copie ressemble à l’originale), la longévité, et la fécondité. Plus il respecte ces règles plus il régnera.

***L’apprentissage, chez les animaux, peut se faire socialement (par opposition à l’apprentissage individuel, par tâtonnement) mais c’est par la stimulation d’une capacité innée, ce n’est pas du mimétisme, car le comportement est déjà « codé » dans les gènes, ce n’est pas une transmission de connaissance d’un animal à l’autre.

Ce billet est inspiré, principalement, de la lecture de « Le gène égoïste » de Dawkins et de « La Théorie des mèmes » de Blackmore. Mais aussi

– « La démocratie des crédules » 2013, Gérald Bronner.

-« Système 1 Système 2, les deux vitesses de la pensée » 2011, prix Nobel d’économie, Daniel Kahneman.

– « Pour en finir avec Dieu » Dawkins.

– « Le gène égoïste » 1976, Richard Dawkins.

– « La Théorie des mèmes » 2006, Blackmore.

Article rédigé par Etheratum

Afficher plus

Articles similaires

10 commentaires

  1. Et les singes de l’île de Kō-jima avec l’histoire du lavage de patate douce, c’est pas de la culture ?
    (différence de degré(s) plus que de nature toussa toussa)

  2. Il y a d’autre exemples comme les chants d’oiseaux, il existe des cas de mimétisme chez les autres animaux, mais ils sont rare et très peu développée. La diversitee des compétences que l’homme peu copier est sans comparaison.

    1. Chants d’oiseaux, qu’on peut retrouver dans les compositions d’Olivier Messiaen. Processus mimétique de l’homme sur la nature.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Voir Aussi
Fermer
Bouton retour en haut de la page