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Martha is Dead : un jeu déroutant.

Après le petit succès de The Town of Light en 2016, le studio florentin LKA continue sur sa lancée en nous sortant un second jeu narratif horrifique en ce début d’année 2022. Édité par Wired Productions, Martha is Dead est un thriller psychologique très sombre se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale, durant la bataille de Chianti en Toscane. En 1944, alors que les SS occupent encore l’Italie, le quotidien de la famille du général de la Wehrmacht Erich K., marié à une italienne, va profondément basculer lorsque l’une de ses filles va trouver la mort dans de mystérieuses circonstances.

Ce matin-là, Giulia se rend, comme à son habitude, au lac près de la ferme familiale, pour prendre quelques photographies. Elle devait y retrouver beaucoup plus tôt sa sœur jumelle, Martha, mais celle-ci ne l’a pas réveillée à l’heure. Sans s’inquiéter pour autant, elle commence à prendre quelques clichés de la nature matinale, quand soudain, malgré la brume, elle aperçoit quelque chose à la surface du lac. Une fois la focale ajustée, Giulia distingue nettement un corps flottant sur l’eau placide. La jeune femme s’empresse d’ôter sa robe pour plonger dans le lac et parvient tant bien que mal à ramener le corps raidi sur la berge.

Inerte et froide, Martha est morte.

Alors que le jeu n’avait attiré l’attention que des amateurs de frissons, c’est la polémique autour de la censure du jeu par Sony qui a davantage fait avancer Martha is Dead sous les feux de la rampe, suscitant la curiosité et l’intérêt auprès d’un plus large public, intrigué par tout ce tapage. De notre côté, à la Régwaktion, nous étions déjà intéressés par le titre avant que cette affaire de censure n’enflamme les réseaux sociaux. Celle-ci nous a certes un peu agacés, mais également fait plaisir, car ainsi, le jeu ne passait plus du tout inaperçu. Ce petit “buzz” a fait son effet, puisqu’il nous a donné encore plus hâte de jouer à Martha is Dead, afin de découvrir son histoire sordide et les scènes inconfortables qui ont tant perturbé Sony et les testeurs de la démo gratuite du jeu.

Évidemment, le simple fait que ce jeu indépendant soit jugé à ce point dérangeant, choquant, voire carrément abject, nous a interpellés et nous nous sommes demandé pourquoi.

C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle vous avez cliqué sur cet article. Vous aussi, vous voulez savoir de quoi il en retourne, de ce fameux Martha is Dead et s’il est aussi affreux qu’on le soupçonne. Et bien nous allons tâcher de vous donner une réponse complète.

Un jeu aux qualités indéniables

“Affreux” n’est pas le premier mot qui nous traverse l’esprit lorsque l’on joue à Martha is Dead. Certes, d’un point de vue éthique et psychologique, le jeu peut aisément nous mettre mal à l’aise, mais artistiquement parlant, il est bien loin d’être laid. Graphiquement, l’œuvre est très réussie, avec un souci du détail irréprochable. C’est vraiment très beau et très lumineux. Pour un jeu d’horreur sombre dans son propos, il y fait plus souvent jour que nuit, avec des paysages harmonieux et dépaysants qui donnent envie de prendre des vacances dans un coin de campagne italienne. Outre les graphismes photoréalistes du jeu, les développeurs ont choisi de nous faire jouer certaines séquences au travers de marionnettes, mettant ainsi en œuvre un décalage entre la réalité crue et l’imaginaire enfantin, moins terre-à-terre. Ce parti-pris artistique, pas forcément des plus originaux, s’avère efficace en plus de renforcer le malaise du joueur. Rien de mieux que les jouets inoffensifs de l’enfance tels que les poupées ou les marionnettes pour les détourner de façon glauque, n’est-ce pas ? Sans compter qu’ici, ces pantins articulés nous servent à comprendre des événements réellement perturbants et malsains du scénario ; mais nous y reviendrons brièvement.

Outre une direction artistique qui n’a rien à envier aux plus grosses productions, Martha is Dead s’offre le luxe d’avoir une très belle OST, qui épouse à ravir l’ambiance du jeu, nous faisant parfois hérisser les poils durant quelques passages plus intenses que la moyenne. (Mention spéciale à la version lente de “Bella Ciao” !)

Toujours du côté de l’audio, le doublage original du titre est très juste et la narratrice possède une voix très agréable à écouter. À savoir que, aussi rare que cela puisse être, Martha is Dead est en Italien et ne propose pas de version française. Alors, pour plus d’authenticité et pour changer un peu, plutôt que sélectionner l’éternelle version anglaise, nous avons laissé le jeu dans sa version originale avec des sous-titres. Choix que nous n’avons à aucun moment regretté, tant la voix de Giulia équivaut à du miel pour les oreilles.

L’ambiance de l’œuvre, puisqu’on en parlait, est véritablement glauque et sordide. Appuyée par la vue à la première personne, elle pousse de temps en temps au malaise, même pour les fans d’horreur les plus aguerris. Pour autant, elle n’est pas foncièrement effrayante ni angoissante ; du moins, pas constamment. Elle cède souvent le pas à l’aspect aventure du jeu, pour ensuite revenir nous titiller l’esprit, nous laissant surtout envisager le pire. On est très loin d’un Outlast où la tension est constante et où les jumpscares sont pléthores. Dans Martha is Dead, l’anxiété se fait beaucoup plus discrète, parfois presque absente, mais revient habilement tapoter à l’épaule du joueur aux moments les plus opportuns. C’est là qu’on reconnaît être dans un jeu d’horreur psychologique. Le jeu nous travaille mentalement, sans toujours nous montrer abruptement les choses. En revanche, lorsque le titre décide de nous tourmenter et de nous servir du sale, il nous régale !

Du côté de la jouabilité, Martha is Dead s’apparente à un walking simulator classique, doté toutefois de mécaniques intéressantes. Il y a notamment un gros pan du jeu qui se concentre sur une sorte de simulation assez détaillée et poussée de la photographie. Notre héroïne étant passionnée par la photo, c’est un thème majeur et la mécanique principale du jeu. En effet, récupérer des pellicules ou des accessoires pour notre appareil, prendre des photos-clés pour mener notre petite enquête et développer nos clichés dans la chambre noire rythmeront nos journées. Le studio a visiblement voulu rendre cette mécanique la plus fidèle possible à la réalité et nous avons trouvé ça très bon. De même que l’utilisation du télégraphe du père de Giulia est très bien pensée, malgré la complexité du déchiffrage des télégrammes. Aussi, à un stade plus avancé du jeu, nous sommes appelés à faire usage d’un théâtre de marionnettes pour effectuer les reconstitutions d’événements ayant eu lieu dans un passé plus ou moins proche, afin de nous aider à comprendre ce qu’il est arrivé à notre sœur Martha. Les QTE ont également leur rôle à jouer, puisqu’ils ne sont pas abusifs et nous sont demandés qu’aux séquences où ils ont un sens. Ils participent d’ailleurs à l’immersion dans l’horreur parce qu’ils obligent le joueur à être acteur aux moments les plus désagréables du jeu. Ainsi, plutôt que de détourner les yeux de l’écran pour ne pas voir les scènes les plus dérangeantes, le joueur se retrouve contraint de regarder ce qu’il s’y passe et de commettre des actes ignobles.

Toutes ces idées sont bonnes et agrémentent le gameplay d’interactions qui ne laissent pas le joueur au rang de spectateur.

L’intrigue, quant à elle, est accrocheuse, presque haletante. Il est difficile de lâcher le jeu, tant la recherche de vérité nous obsède. D’autant que, plus on avance, plus on élabore des théories que l’on veut vérifier et plus on se pose davantage de questions auxquelles on souhaite trouver des réponses. C’est un cercle vicieux, qui perdure jusqu’au dénouement de l’aventure. Martha is Dead sait captiver la curiosité du joueur.

Original sans pour autant l’être entièrement, Martha is Dead a le mérite de tenter quelque chose qui n’est pas simplement du réchauffé vu et revu maintes fois. Le studio LKA nous propose une expérience plutôt unique, avec plusieurs grilles de lecture pour celles et ceux qui tenteront de percer ses moindres secrets.

Toutefois, si le jeu réussit beaucoup de choses, il n’excelle pas partout.

Mais pas irréprochable !

La lenteur à laquelle l’histoire de Martha is Dead avance et est narrée peut très certainement en faire décrocher certains. Ici, nous sommes face à un jeu très narratif et pas du tout nerveux. De même, la lourdeur du gameplay, aussi bien que des animations et des monologues – qu’on ne peut jamais passer -, peuvent décourager les moins patients d’entre vous.

À la Régwaktion, ce n’est vraiment pas ce qui nous a gênés avec ce titre, mais nous comprenons que ce ne sera pas le cas de tous.

Manette en mains, le plus pénible pour nous fut surtout le maniement du vélo qui, outre nous permettre de nous déplacer considérablement plus vite, est aussi pratique et agréable à manœuvrer qu’un char d’assaut. Sans compter qu’il se bloque parfois contre des éléments invisibles du décor ou qu’il reste coincé dans des zones auxquelles nous n’avons plus accès à certains moments du jeu, alors qu’il nous le faut impérativement pour enclencher le script. Dans ces cas-là, il nous faut recharger une ancienne sauvegarde pour tenter de le récupérer.

Mise à part la maniabilité, Martha is Dead souffre hélas actuellement d’une optimisation qui laisse à désirer sur PC. Fort heureusement, une très récente mise à jour a quelque peu remédié à cela, car les premières heures de notre découverte furent ponctuées de chutes de fps, de lags et freezes en tout genre ainsi que de beaux plantages, nous contraignant dans le pire des cas à relancer le jeu pour charger la dernière sauvegarde automatique. En soi, ces petits désagréments techniques ne sont pas venus à bout de notre volonté de poursuivre notre partie. Mais il faut bien admettre que cela nuisait un peu à notre immersion.

Saviez-vous qu’il y avait des casse-têtes dans Martha is Dead ? Maintenant, oui. D’ordinaire, à la Régwaktion, nous aurions sauté de joie à cette nouvelle, car nous adorons nous triturer les méninges. Seulement, ici, le problème ne réside pas réellement dans la complexité des énigmes, mais plutôt dans leur réalisation. Disons franchement que la seule “aide” dont nous disposons est claire comme du jus de boudin, avec en prime des petites failles de traduction qui induisent le joueur français en erreur. La tâche n’était honnêtement déjà pas aisée à la lumière du jour, alors nous vous laissons imaginer l’horreur que ce fut de résoudre une autre énigme du même acabit dans le noir complet, sans pouvoir s’éclairer au briquet ! Non content de nous faire nous creuser la cervelle, Martha is Dead nous a également forcé à nous esquinter la vue, les yeux à quelques centimètres de l’écran, plongés dans l’obscurité la plus totale. Plus jamais ça, s’il vous plaît !

Sachez qu’en termes de rythme comme de qualité d’intrigue, le jeu s’en sortait très bien jusqu’au dernier chapitre qui s’étend un peu trop en longueur et part en vrille. Malheureusement, l’ultime partie de l’œuvre s’éparpille. On croule sous des monologues toujours plus longs, bourrés d’informations contradictoires et floues dont on ne comprend plus le sens. On se retrouve à avancer dans un univers psychédélique et halluciné qui nous donne un amer goût de déjà vu dans la bouche. Là où Martha is Dead se démarquait du lot des jeux d’horreur psychologiques habituels et est parvenu à nous retourner le cerveau tout au long de notre progression, il nous sert finalement un ultime twist très convenu et l’éternel passage obligatoire dans le “palais mental” de notre héroïne. C’est vraiment regrettable.

Néanmoins, malgré cette déception, la cinématique intéractive qui clos notre partie n’est pas mauvaise et réussit bien à illustrer son propos. D’autant qu’avoir mis un système de choix à notre disposition est une idée judicieuse puisqu’il nous permet non seulement de tirer nos propres conclusions, mais également d’obtenir l’un des trois épilogues.

Pour être francs, le défaut le plus frustrant de ce jeu, outre sa conclusion un peu facile, c’est l’impossibilité de finir certaines quêtes annexes à la trame principale, en fonction de notre progression et d’un certain sens du timing qui n’est à aucun moment explicitement précisé. Sérieusement, compléter toute une suite de quêtes et se casser la tête sur des énigmes retorses, pour finalement ne plus pouvoir se rendre sur les lieux de la prochaine mission, bloqué par un mur invisible parce que le script a décidé qu’à ce stade de l’histoire, ce n’est plus possible d’aller ailleurs qu’à la zone de la quête principale… C’est rageant. Passer ainsi à côté de secrets, d’une parcelle du Lore, d’un éventuel cheminement différent de l’histoire et se rendre compte qu’on a fait toutes les autres étapes de la quête pour rien, c’est énervant. Nous sommes désolés, mais dans un jeu de 2022, l’impossibilité de terminer toutes les quêtes secondaires avant de clôturer sa partie, ce n’est plus acceptable !

Tout compte fait, toute cette polémique autour de Martha is Dead selon laquelle le jeu devrait être censuré, voire interdit, car jugé beaucoup trop gore et trash, était largement exagérée. Bien que nous n’ayons évidemment pas la même tolérance les uns les autres face à ce genre d’images, notez qu’il n’y a en réalité que trois séquences réellement malsaines qui peuvent vous choquer ou vous déranger, si le contenu gore vous révulse. Autrement, si ce n’est deux autres scènes, bien moins impactantes, qui sauront probablement mettre mal à l’aise les plus sensibles d’entre vous, il n’y a dans ce jeu rien de vraiment traumatisant. Vous avez sûrement déjà vu de bien plus angoissantes immondices dans d’autres jeux d’horreur, ou même à la TV.

En tout cas, il n’y avait pas de quoi en faire tout un foin. C’en est même presque décevant tant on s’attendait à devoir détourner le regard de dégoût ou bien en faire des cauchemars, haha !

Pas une pépite, mais un joli galet poli ~

Pour une toute petite production horrifique, Martha is Dead est un très beau jeu doté d’une bande-son italienne de qualité. Avec son intrigue prenante qui tient le joueur en haleine durant moins de dix heures, le jeu parvient à captiver l’attention malgré un rythme très lent et un gameplay assez lourd. La narration du titre, soutenue par un doublage aux petits oignons, est surprenante et nous mène parfaitement en bateau.

L’ambiance malsaine du jeu se marie à merveille avec le décor lumineux et agréable dans lequel on évolue, créant une inquiétude morbide chez le joueur qui s’attend toujours au pire, devenant presque paranoïaque. Mais l’horreur est bien là, à chacun des pas que l’on fait pour élucider le meurtre de Martha. Chaque découverte, chaque révélation, chaque effort que l’on doit faire pour s’approcher de la vérité nous saisit par son atrocité crue.

Oui, Martha is Dead peut vous choquer si vous êtes trop jeunes ou fragiles. Mais le jeu ne se contente pas d’être gore juste pour être gore, gratuitement. Les horreurs que nous voyons et sommes forcés de commettre servent un propos, qui est habilement amené et travaillé par les développeurs. Cependant, si vous êtes accoutumés aux jeux d’horreur, comme nous, vous serez peut-être un brin déçus, car avec cette histoire de censure, nous nous attendions à bien pire !

La fin, malheureusement, ne nous a pas complètement convaincus, bien qu’elle nous ait pris de court et qu’elle nous laisse choisir notre version des faits. C’était à la fois facile et osé de partir sur cette conclusion.

Nous saluons tout de même le studio pour avoir réussi à nous manipuler et à nous désarçonner.

Enfin, les quêtes annexes proposées dans Martha is Dead sont intéressantes, mais hélas, interminables si on loupe le créneau pour remplir les objectifs à temps et si on avance trop dans l’histoire ; ce qui s’avère très frustrant.

Il est difficile de déterminer si nous avons aimé ou non Martha is Dead. En un sens, nous l’avons beaucoup aimé et ce serait mentir que de dire que le jeu ne nous a pas un petit peu obsédés. Mais vraiment, la conclusion du jeu nous a laissés insatisfaits. Même si c’était joli et profond… La magie n’a pas opéré sur nous, hélas. C’est donc à contrecœur que nous ôtons quelques points sur la note.

Que vous aimiez ou détestiez Martha is Dead, c’est une œuvre qui ne vous laissera pas indemnes. LKA est un studio indépendant avec beaucoup de potentiel !

Obtention de la copie : Clé Steam payée par la testeuse (PC)

Éditeur/développeur : Wired Productions / LKA

Machines : Le jeu est uniquement disponible en dématérialisé sur PC, Xbox One, Xbox Series, Ps4 et Ps5. Toutefois, seules les versions Microsoft ne sont pas censurées. Une sortie en physique est prévue pour plus tard sur Ps4 et Ps5, en version censurée.

Prix conseillé : Le prix fort de 30€ est peut-être un peu élevé au vu de la durée de vie du jeu, mais pour la qualité du titre, ça vaut le coup de soutenir les développeurs.

Metacritic : Metascore de 77/100 (version PC)

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Trish

Je suis Trish, L'impératrice des Rêveurs. J'aime manier les mots, l'arc et le fusil à pompe. Je taille mes critiques d'un revers de plume affûtée. D'un tempérament brut, je tire à balles réelles.

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